L’École de la nature et du paysage entretien un lien historique avec la formation de paysagiste de Bucarest. Nous avons accueilli à de nombreuses reprises des étudiants roumains, particulièrement en CPEP2, ainsi que reçu la visite de Vera Dobrescu et Ioana Tudora, toutes deux enseignantes de projet de paysage. Vera avait participé à la restitution de l’atelier de projet dans le cadre de l’exposition au Château de Fougères sur Bièvre et avait trouvé que ce serait bien de venir faire ce genre d’atelier en Roumanie.
L’idée d’un échange académique a donc germé à l’automne dernier, en repensant à cet échange, avec une première prise de contact. Le projet était d’aller passer une semaine sur place pour dispenser des cours de photo dans un format qui restait encore à définir. Le dossier s’est monté tardivement et la proposition de mobilité a été acceptée par les deux établissements.
Dimanche 6 avril, je me rends à Beauvais pour prendre l’avion dans la matinée. Arrivée à Bucarest sous un ciel gris et humide, le contraste est violent après la journée de la veille en France et 24° C dans le jardin. L’université propose des chambres, situées sur le campus, pour les invités. Vera Dobrescu qui sera ma référente sur place m’a envoyé via Whatsapp les informations pour récupérer les clés de la chambre puisqu’il n’y a personne sur place un dimanche. Renseignements pris à l’aéroport, j’achète une carte de transport pour la semaine et on m’indique le bus à prendre pour m’amener à mon lieu de résidence. Il est 15 heures lorsque j’arrive à la chambre pour poser mes bagages. Le campus semble agréable, Vera m’a donné rendez-vous à 11 heures le lundi matin pour me faire visiter les lieux, mais en attendant, il me tarde de visiter la ville de Bucarest. Aux portes du campus, je trouve un petit supermarché de proximité où j’achète des éléments de première nécessité comme de quoi me faire un petit déjeuner dans la chambre, puis direction le métro pour descendre vers le centre-ville.
Le métro m’emmène Gare du Nord et je décide de parcourir la ville à pied, sans but précis autre que de me laisser porter par ce qui s’offre à moi. Je ne sais pas si je m’attendais à quelque chose en particulier en venant en Roumanie mais la ville est surprenante. C’est un vaste collage urbain au sein duquel l’architecture socialiste reste très présente en front bâti sur les boulevards. Lorsqu’on se glisse à l’arrière, on découvre des petits espaces à l’échelle individuelle remplis de constructions vernaculaires de petites tailles. Ce contraste fait d’ailleurs débat parmi les architectes roumains quant à savoir s’il faut préserver cette forme de bâti ou la raser au profit d’immeubles neufs, qui constituent, quant à eux, la troisième forme bâtie de cet immense collage qu’est la ville de Bucarest. Je suis aussi très surpris par la présence importante d’arbres de grande hauteur dans les nombreux interstices de la ville. J’apprendrais plus tard que sous l’effet du climat continental, les étés peuvent être très chaud et qu’il fait régulièrement 40° C, les arbres jouent donc un véritable rôle pour le rafraichissement de la ville. Fort de ces premières impressions, la nuit arrive et je retourne sur le campus retrouvé ma nouvelle chambre.
Lundi matin, je commence la journée tranquillement avec un petit tour sur le campus pour explorer les environs en attendant de retrouver Vera. Le campus de l’Université de sciences agronomiques et d’études vétérinaires a une superficie de 39 hectares, c’est le plus grand de Bucarest. L’université est composée de 7 facultés dont la Faculté d’horticulture qui héberge le département paysage en son sein. Vera m’emmène tout d’abord visiter les serres hollandaises où nous retrouvons Sorina Petra, enseignante en floriculture qui me présente les lieux.
De nombreux étudiants de la formation horticulture sont en travaux pratiques tandis que des élèves de niveau collège visitent les serres dans le cadre des journées nature. Après cette visite, Vera me fait découvrir les différents espaces extérieurs, la roseraie ornementale, les vignobles, les prairies malheureusement trop souvent tondues (le recteur aime un gazon propre) et le parc dendrologique (ce terme est beaucoup plus utilisé qu’en France pour désigner des espaces arborés) au sein duquel les étudiants en paysage conduisent des expérimentations et des observations sur la croissance des arbres plantés selon différentes techniques.
Nous arrivons ensuite au bâtiment récemment restauré de la Faculté d’horticulture où nous rencontrons le doyen qui m’accueille et me souhaite un bon séjour. Direction ensuite vers le troisième étage où se trouvent les ateliers de la formation paysage. Je fais la connaissance d’Alex Axinte, architecte de formation, anthropologue et sociologue et binôme enseignant de Vera pour l’atelier de projet de deuxième année. De 14 heures à 16 heures, je me joins à Vera pour une séance de correction de panneaux de groupes d’étudiants qui doivent rendre leurs posters pour un concours sur le thème du jardin littéraire. Trois groupes de 4 étudiants nous présentent leurs propositions sur lesquelles nous réagissons pour les dernières modifications (la date limite pour l’envoi des panneaux est fixée au jeudi) et ajustements des pièces graphiques. Je suis surpris, sur les panneaux, par la grande attention portée aux végétaux, probablement en raison de la dimension horticulture de la formation qui est donc bien plus présente qu’à Blois. On profite également d’un moment avec Alex pour caler le programme de mon intervention avec les élèves de deuxième année. On se retrouvera le lendemain pour la présentation du nouvel exercice de l’atelier de projet qui durera 5 semaines et sur lequel je vais greffer mon exercice.
Mardi, on se retrouve avec Vera et Alex à 9 heures au sein de l’atelier de projet. Alex présente le site de projet, situé au sud du Parc Bazilescu, de part et d’autre du Boulevard Bucurestii Noï. Deux grandes entités urbaines composent ce site, d’un côté du boulevard, à l’est, un ensemble de logements sociaux des années 50, construit dans un style post-stalinien. Les immeubles sont plutôt bas (R+3 max) avec des commerces et services en rez-de-chaussée et des espaces publics partagés, dédiés aux loisirs et aux activités collectives. Les bâtiments sont organisés en forme de U autour d’un immense bâtiment qui était un cinéma de 2000 places dont le nom signifie « Jumelage entre les peuples », construit en 1953 pour accueillir les journées mondiales des pionniers. De l’autre côté du boulevard, à l’ouest, on trouve des immeubles des années soixante-dix, sur le modèle des « grands ensembles » uniquement dédiés à l’habitat, les commerces étant regroupés ailleurs. La zone de projet pour les étudiants comprend ces deux entités et la zone d’analyse inclut quant à elle le Parc Bazilescu situé juste au nord. Les étudiants vont travailler en binôme et je leur propose comme exercice photo de réaliser des prises de vue sensibles de leurs premières impressions sur site, ce qu’ils voient, ce qu’ils remarquent, ce qui les interpelle, à différentes échelles, des espaces ouverts aux plus petits détails. Ils doivent juste se laisser porter par ce qui attire leur regard sans poser, pour le moment de diagnostic sur les lieux. L’idée étant de les faire travailler sur une forme de « portrait collectif » du site d’étude, avec déjà dans l’idée de leur demander une restitution finale le jeudi, sous forme d’exposition.
Nous nous rendons sur place en transports en commun et nous retrouvons deux personnes investies dans la vie du quartier pour nous parler des initiatives en cours et de l’histoire des lieux. Julian fait partie d’une association citoyenne locale ; il a grandi dans le quartier et fréquentait assidument la bibliothèque publique du Parc Bazilescu lorsqu’il était enfant où il empruntait les romans de Jules Verne (il était très fier de me raconter cela). Il présente l’histoire du quartier aux étudiants tandis qu’Alex assure la traduction de ses propos en anglais pour moi. Nous retrouvons ensuite Bogdan, jeune paysagiste diplômé de la faculté d’horticulture, lui aussi investi dans un mouvement citoyen de gestion des espaces « verts » partagés qui, actuellement, ont très peu de qualités. Un travail est engagé avec les habitants pour décompacter les sols et adopter une gestion différenciée pour aller vers des prairies non fauchées et favoriser ainsi l’apparition d’écosystèmes et retisser une trame verte dans le quartier jusqu’au Parc. A l’issue des présentations, les étudiants se dispersent pour réaliser le travail photo. Il est 14 heures (la notion de pause méridienne n’existe pas vraiment, les gens mangent lorsqu’ils sont disponibles, quelle que soit l’heure) et rendez-vous leur est donné pour le lendemain à 15h30 en atelier où chaque binôme devra amener 5 tirages photos au format A3 pour qu’ils procèdent à la sélection des images à exposer. Avec Alex, Vera et les étudiants des autres promotions, nous nous retrouverons plus tôt, pour commencer à installer le dispositif qui permettra d’exposer les photographies, ce qui ne sera pas une mince affaire car le bâtiment vient d’être restauré et rien n’est encore prévu pour exposer les travaux des étudiants au grand dam de l’équipe pédagogique qui ne goûte guère cette architecture qui reste beaucoup trop aseptisée. Les enseignants sont d’ailleurs nombreux à se plaindre du manque de concertation dans la définition des besoins de salles pédagogiques comme les ateliers en amont du projet architectural.
On a prévu de se retrouver à midi avec Vera et Alex pour commencer l’installation des supports d’exposition, j’ai donc la matinée de libre. Nicolas m’a parlé du Musée ethnographique, appelé communément « Musée du village » qui se situe juste en face de l’Université, de l’autre côté du boulevard qui traverse la ville du nord au sud. Il fait un grand soleil ce matin et j’y passe donc la matinée. Inauguré en 1936, le lieu rassemble des bâtiments provenant de différentes régions de Roumanie et de différentes époques. Les maisons sont généralement fermées, mais on peut découvrir les intérieurs en regardant pas les fenêtres. La promenade est agréable et enrichissante, même si, au-delà d’un certain nombre de maison, sans être spécialiste du sujet, on commence un peu à saturer, surtout que, la matinée avançant, de plus en plus d’étals viennent ponctuer le parcours avec des femmes roumaines qui vendent des souvenirs, parmi lesquels des œufs peints. Midi approche, je me dirige donc vers l’Université pour retrouver mes collègues.
Alex et Vera sont déjà présent ainsi que quelques étudiants de dernière année, ravi de donner un coup de main. Ioana Tudora nous rejoint également, nous parlons de la France, de son passage à Blois et de Claude Eveno qu’elle a connu. Ca ne me surprend pas qu’ils aient pu s’entendre, je retrouve chez Ioana le même franc parler sincère.
Le dispositif pour accrocher les photographies n’est pas simple à installer, il est composé de tringles contreventées posées sur des poutres IPN desquelles on descend des fils nylon lestés de poids de pêche en plomb à l’extrémité. L’écart entre les fils est déterminé par les dimensions des photos selon qu’elles sont horizontales ou verticales, mais on ne sait pas encore combien on en aura de chaque ! L’ambiance est vraiment agréable et me rappelle les premiers temps de la Chocolaterie, lorsqu’il nous fallait inventer des solutions pour chaque nouveau besoin.
A 15h30, les étudiants se regroupent dans un atelier et étalent leurs photos sur une table en gardant ensemble les séries de cinq pour que chaque étudiant soit sûr d’avoir une photo au moins dans la sélection finale.
Je suis, en premier lieu, très favorablement surpris par le résultat et je ne m’attendais pas à ce niveau de propositions. Les étudiants n’ont pas de cours de photo et je pensais qu’ils me proposeraient juste une suite de sujets, pas vraiment composés et sans prise de parti, mais c’est tout le contraire. Il y a des parti-pris forts et assumés, des jeux d’échelles, des ambiances, des lumières, on est véritablement en plein dans la photographie et je les félicite pour cela. Les enseignants de projet sont un peu déçus, ils trouvent que ces images ne portent assez en elles des éléments d’analyse, mais je leur explique que ce n’était pas encore le but, que pour le moment nous sommes sur une approche purement intuitive qui s’apparente davantage à une carte sensible qu’à des éléments d’analyse. Cet exercice doit aider à faire émerger les premières intuitions de projet.
Par groupe de cinq ou six, ils commencent la sélection des groupes d’images, en évitant de choisir parmi les leurs, pour encourager la prise de distance et le regard critique, plus facile à exercer sur des productions dont ils ne sont pas les auteurs. La sélection se fait en plusieurs phases ponctuées d’argumentations et d’échanges sur les choix, certaines images sont retirées, d’autres remises pour commencer à construire ensemble, le récit d’une vision globale et cohérente du site de projet. Deux heures plus tard, il nous reste une trentaine d’images parmi plus du double au début. Vera se chargera de faire des sorties de bonne qualité et nous devons nous retrouver le jeudi matin à 8h30 pour commencer l’installation de l’exposition, sachant que je dois donner une conférence de 10 heures à midi et qu’ensuite, ce sera le vernissage de l’exposition, suivi à 14 heures par une conférence de Denis Delbaere, paysagiste enseignant à Lille qui parlera de la critique d’espaces publics. Il a entrepris un tour d’Europe de six mois pour visiter les différentes écoles de paysage européennes et établir des partenariats ; le hasard nous a fait nous rencontrer à Bucarest cette semaine alors qu’il arrivait de Budapest avant d’y repasser, puis d’aller vers les pays baltes.
Jeudi matin, 8h30, j’arrive en même temps qu’Alex qui devait arriver plus tard ; Vera l’a appelé, elle a un souci avec les tirages. Nous montons au 3e étage et Vera nous explique que les tirages étaient incurvés, elle a essayé de les repasser légèrement et ça marchait, elle a alors insisté et la surface s’est mise à cloquée, 8 tirages sont endommagés, il faut les refaire. Pendant que nous allons commencer à installer les tirages intacts avec les étudiants, Vera retourne imprimer les 8 tirages manquants. L’installation est beaucoup plus compliquée que nous ne le pensions, il faut réajuster l’écartement des fils que nous scotchons au dos des tirages. Ça fonctionne à peu près, mais c’est très très laborieux, surtout pour mettre les photos au même niveau et droites. Nous partons sur un système des plus simple, une à deux photos par colonne et nous compléterons lorsque Vera amènera les photos manquantes. A 9h45, je laisse les étudiants continuer pour aller m’installer dans l’amphithéâtre et préparer ma présentation. L’ensemble de l’équipe pédagogique à, pendant ce temps commencé à installer le buffet pour le vernissage qui aura lieu à midi dans l’espace contigu à l’exposition, juste après ma présentation. L’amphi est impressionnant, quelques centaines de places qui ne seront bien sûr pas toutes occupées, loin de là, et un auditoire composé des étudiants de toutes le promotions et d’enseignants de la faculté. Je connais mon sujet et le déroule facilement, ce n’est pas la première fois que je le fais en anglais dans le cadre d’échange Erasmus. A la fin quelques questions souvent du même ordre sur la méthodologie et l’usage qui est fait de ce travail et par qui.
Aucun temps mort dans cette journée puisque nous enchainons sur le vernissage de l’exposition. C’est l’occasion pour moi de redire à quel point j’ai apprécié de travailler avec ces étudiants de deuxième année et qu’ils peuvent/doivent avoir confiance en eux, au vu des résultats de cet exercice. De leur côté, ils sont ravis de l’expérience qui les a poussés à explorer une nouvelle approche du site de projet avec une clé d’entrée beaucoup plus sensible qu’à l’accoutumée. L’ensemble de l’équipe pédagogique qui s’est fortement mobilisée pour cette exposition et ce vernissage est très contente d’avoir réussi à poser les premiers jalons d’un lieu d’exposition au sein du bâtiment. L’exposition va rester le temps du projet et sera sans doute remplacée par des panneaux de projets ou des dessins de cours d’arts plastiques, en attendant que des travaux de pose de cimaises viennent pérenniser ces lieux de monstration. Les étudiants de première année qui ont participé à l’accrochage du matin m’attendent maintenant avec impatience pour conduire un nouvel exercice l’an prochain. Mon intervention sur place se termine ainsi dans une ambiance chaleureuse et festive.